
Actualité ancien cinéma - Cycle de Felice / Chatellier à la BPI
Du 18 novembre au 4 décembre 2022, la cinémathèque du documentaire à la BPI consacre un cycle au travail de Daniela de Felice et Matthieu Chatellier, "De part et d'autre".
Retrouvez le programme ici.
(© Alter Ego Production // visuel Daniela de Felice & Matthieu Chatellier)
A cette occasion, Matthieu Chatellier (Ciné 1993) a répondu à quelques questions pour revenir sur son parcours :
Quel souvenir gardez-vous de la sortie de l'école ?
Je suis sorti de l'école en juin 1993. C'était donc le siècle dernier, quand des générations de jeunes hommes subissaient encore le service militaire. Et d'après les témoignages de mes camarades plus âgés, c'était un temps idiot, où l'armée française se montrait sous son jour le plus abrutissant et corrompu (le piston régnait en maitre) et il fallait tout faire pour l'éviter. Mon diplôme de Louis-Lumière en poche, j'ai donc repris des études de cinéma à Paris I, par goût mais aussi pour retarder mon incorporation. C'est pourquoi, à cette époque, je n'ai pas immédiatement intégré la profession en tant qu'assistant opérateur comme c'était l'habitude pour mes camarades de promo.
À l'université, j'ai suivi une valeur de Cinéma expérimental, et j'ai réalisé mes premiers films avec une petite caméra Super8. Cela a été un grand moment de bricolage visuel et de plaisir. À Louis-Lumière, j'avais appris le studio, les caméras 35mm dernier cri et finalement, ce bagage technique me donnait une grande assurance pour agir en solitaire, y compris avec cette petite caméra Super8. Je développais moi-même mes essais (merci les cours de sensito de Mme Tulli), et quand j'ai dû ensuite réparer le mécanisme ou l'optique de ma caméra 16mm, éclairer un décor avec des lampes de jardin, j'ai pu mettre en œuvre tout ce que j'avais appris à l'école. Paradoxalement, Louis-Lumière m'avait très bien formé à intégrer des équipes dans l'industrie des tournages TV et cinéma de l'époque, avec une profusion de matériel et de postes, mais de manière souterraine, elle m'avait aussi donné un savoir plus exigeant encore pour travailler seul, bricoler, concevoir un univers visuel et artistique avec très peu de moyens. Finalement, lors de ces débuts, c'était ma situation préférée et, plus tard, c'est sans doute ce qui m'a conduit vers le documentaire de création.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel depuis la sortie ?
Mes deux années de formation à Louis-Lumière (sept 1991 à juin 1993) ont donc été très fertiles et m'ont apporté une confiance et un grand sens du concret, une indépendance de terrain, extrêmement précieuse. Quel que soit le film que je réalise à présent, je m'embarque immédiatement avec ma caméra. Et ma relation directe aux personnes ou au réel que je filme s'en trouve enrichie.
C'est le fait de faire moi-même l'image sur les documentaires que je réalise qui m'a conduit à être aussi chef-opérateur pour d'autres. Sur des courts ou des longs métrages, documentaires et aussi de fiction.
J'ai été engagé pour la première fois, en tant que chef-op sur un long métrage de fiction, 20 ans après ma sortie de l'école. J'avais déjà réalisé et éclairé mes premiers courts de fiction puis mes premiers longs documentaires et je ne fréquentais plus les plateaux de tournage fiction depuis longtemps.
J'avais suivi l'évolution du matériel d'éclairage, j'étais à jour question matériel et technique, mais en renouant avec la fiction ce qui me frappait sur le plateau de tournage c'était que les codes et la terminologie de la télévision avaient eu tendance à remplacer ceux du cinéma.
En fiction, je suis souvent engagé pour mon expérience documentaire, sur des projets qui nécessitent une certaine légèreté d'action, une immédiateté de réaction vis à vis de ce qui advient avec les comédiens ou les décors naturels. Dans ce cas, je travaille en équipe image réduite de 4 ou 5 personnes. J'y croise parfois des anciens de l'ENS Louis-Lumière. Sur le plateau, le cinéaste est branché sur ses comédiens, et j'aime le dialogue et le travail collectif autour de l'élaboration de l'image de fiction que je peux avoir au sein de l'équipe image. S'il y a collectif, c'est pour bénéficier d'un échange et d'un dialogue. Les excès d'autorité et de pouvoir que je rencontre parfois m'ennuient beaucoup et en plus, ils desservent les projets, sont cinématographiquement stériles et vieillissent très mal ! Et dans ce cas, je préfère ma solitude documentaire !
Enfin, pour finir sur ce point "image" : depuis quelques années, avec l'évolution des caméras (Log, Lut...) et des méthodes de tournages, je me suis formé à l'étalonnage. Sans parler d'effets spéciaux, j'ai l'impression que l'image "complète" d'un film se construit sur le plateau mais aussi en post-production.
Parlez-nous de votre actualité, à côté de ce cycle qui débute à la BPI :
Le hasard veut que je termine en ce moment deux projets. Un long métrage documentaire intitulé "De part et d'autre" ou je raconte mon dernier séjour chez Cécile Reims, graveuse. Elle a alors 91 ans, et je l'avais filmée avec son compagnon Fred Deux, 10 ans auparavant. C'est un film centré sur cette femme émouvante, artiste importante, qui raconte sa traversée des épisodes les plus sombres du XXème siècle. C'est aussi un film à la temporalité "trouée", qui nous replonge dans les archives anciennes et pressent l'urgence à profiter du présent.
Je finalise aussi le film "Nos forêts", entre fiction fantastique et documentaire, pour lequel j'ai écrit des personnages et confié leur interprétation à des hommes et des femmes croisés dans mes documentaires précédents. Des comédiens non professionnels, donc. Ce sont des retrouvailles très stimulantes.
Et pour finir, auriez-vous une œuvre à conseiller :
J'ai envie de conseiller ici le dernier film de Daniela de Felice, ma complice lors de ces premiers vingt ans de travail ! Daniela est cinéaste. Elle est aussi la monteuse de mes films, tout comme je suis le chef-opérateur des siens.
Le dernier film de Daniela s'intitule Ardenza. Mon travail de chef-opérateur a consisté en la création d'images mémorielles, qui devaient avoir l'évanescence du souvenir. Les images devaient raconter un fait précis, tout en suggérant le flou et la vulnérabilité de la mémoire. Mon travail a donc été double, tourner des images ou fournir des archives, puis transformer ces images grâce à différentes strates de projections et de refilmage. C'était donc une expérimentation passionnante qui mêlait terrain et studio.
